Les bases moléculaires de la reconnaissance par les IgE sont explorées à partir de deux sources allergéniques, le lait et l’arachide. Les études ont, pour premier objectif, de déterminer les protéines responsables de l’allergénicité de ces aliments. Elles doivent ensuite préciser la spécificité des IgE en identifiant les déterminants immunoréactifs présents dans les allergènes. Une analyse de leur devenir, lors de traitements technologiques ou de processus digestif, est également effectuée. Par ailleurs, ces différents travaux conduisent au développement de méthodes immunologiques originales permettant d’évaluer le potentiel allergénique dans des matrices biologiques complexes mais aussi de caractériser rapidement la réponse des IgE et des sous-classes d’IgG spécifiques dans des échantillons sanguins.
L’analyse de la réponse IgE aux protéines du lait et de l’arachide illustre la difficulté des allergies alimentaires. La multitude des allergènes en cause, leur omniprésence dans l’alimentation ainsi que leurs caractéristiques variées compliquent la prévention de l’allergie.
Allergie au lait
Toutes les protéines du lait étudiées ont un potentiel allergénique et la majorité des patients est sensible à plus d’un allergène. La b-Lactoglobuline, l’a-Lactalbumine et la caséine entière apparaissent comme des allergènes majeurs. Toutefois, la comparaison d’une population d’allergiques des années 1990 à une population analogue des années 2000 montre une évolution des profils de spécificité de la réponse IgE dans l’allergie au lait. La caséine entière est devenue l’allergène prépondérant chez l’adulte comme chez l’enfant. Les différentes protéines qui la composent, les caséines as1, as2, b et k présentent alors un potentiel allergénique. Nous observons ainsi un phénomène généralisé de polysensibilisation où la très grande majorité des sérums présentant une réponse IgE à la caséine entière est également positive à chacun de ses différents constituants. Toutefois, en termes d’intensité, une forte variabilité de la réponse IgE aux caséines est observée. Par ailleurs, dans les différentes populations caractérisées, il apparaît clairement une réactivité croisée entre protéines laitières de différents ruminants. Les patients allergiques au lait de vache présentent, alors, une réponse IgE aux protéines du lait de chèvre et de brebis et particulièrement à leurs caséines.
L’analyse de certaines régions protéiques a mis en évidence des épitopes variés spécifiques d’une caséine mais commun à plusieurs espèces (Bernard et al., 2000) ou même commun à plusieurs caséines (régions comprenant le site majeur de phosphorylation) (Bernard et al., 2000).
Ces dernières années, les études portant sur l’allergie au lait ont suivi une évolution consécutive à l’émergence de nouvelles réactions et spécificités chez les patients allergiques. La collaboration avec des médecins allergologues de Paris et de Toulouse a mis en évidence une allergie particulière au lait de chèvre et de brebis chez des patients qui tolèrent les produits laitiers de vache. Cette hypersensibilité se distingue également de l’allergie au lait de vache, par l’âge des patients (âge moyen supérieur à 6 ans), sa symptomatologie fréquemment sévère (chocs anaphylactiques, œdème de Quincke) et sa faible acquisition de tolérance. L’étude de cette allergie émergente nous a conduits à fractionner, purifier puis identifier les protéines des laits de vache, de chèvre et de brebis, notamment les différents constituants de la caséine entière. Les quatre caséines ainsi que certaines protéines du lactosérum ont été ainsi isolées sous leurs variants les plus fréquents, puis caractérisées. (L’utilisation d’anticorps monoclonaux et polyclonaux produits au laboratoire a permis de confirmer l’identité et la pureté des fractions obtenues). L’analyse d’une population de plus de cinquante patients allergiques a été menée à l’aide de méthodes immunoenzymatiques développées au laboratoire. Elle a permis de traduire cette allergie particulière au lait en une réponse IgE essentiellement dirigée contre plusieurs caséines caprines et ovines tandis que la réponse aux protéines de vache est faible ou nulle (Ah-Leung et al., 2006). L’absence de réactions croisées entre protéines de différents ruminants s’inscrit en contradiction avec la spécificité des IgE originellement observée dans les populations de patients allergiques au lait de vache. Elle suggère l’existence d’épitopes spécifiques aux caséines de chèvre et de brebis et non conservés dans les caséines bovines en dépit de la très forte homologie de séquence entre ces protéines. L’identification de tels déterminants allergéniques et la comparaison structurale avec des épitopes de protéines bovines sont en cours.
Allergie à l’arachide.
L’étude de la réponse IgE aux protéines de l’arachide démontre une forte diversité allergénique. A quelques exceptions près, l’intégralité des protéines purifiées est reconnue par les IgE des différents sérums de patients allergiques. Les nombreux allergènes dits « majeurs » peuvent être classifiés en trois familles protéiques. Les globulines 11 S avec comme représentant l’Ara h 1, les globulines 7S retrouvées sous différents polypeptides d’Ara h 3/4 et les albumines 2S qui comprennent notamment Ara h 2 et Ara h 6. A cette occasion, il faut souligner l’importance des albumines 2S dans l’allergénicité de l’arachide. En effet, ces protéines peu abondantes engendrent une réponse IgE forte mais également une réactivité In vivo forte. De plus, elles pourraient être la source de réactivités croisées par le biais de structures conservées.
L’isoforme de Ara h 6 caractérisée au laboratoire est représentative des différentes observations évoquées et constitue un modèle d’étude au laboratoire. Nous avons démontré que cette isoforme existe dans la graine sous une forme entière, mais aussi sous forme hétérodimérique résultant d’un processus naturel d’hydrolyse de la chaîne peptidique au niveau de plusieurs sites particuliers (Bernard et al, 2007). Cette hydrolyse n’intervenant pas sur les ponts disulfures de cette petite protéine (14.8 kDa), elle permet l’association des fragments peptidiques en dimère qui conserve une conformation stable. Ce processus de dégradation n‘entraine pas de perte de reconnaissance de l’Ara h 6 par les IgE. A l‘inverse, la réduction de toute isoforme d’Ara h 6 et la perte complète des ponts disulfures induisent une forte baisse des liaisons aux IgE à Ara h 6. Une étude en cours a permis la production d’une Ara h 6 recombinante, comportant ses cinq ponts disulfures et caractérisée par une immunoréactivité équivalente à la forme naturelle. Par contre, la modification de certains ponts disulfures, par mutagenèse dirigée, entraine une perte de la reconnaissance par les IgE de patients allergiques, confirmant l’importance de la structure de Ara h 6 dans son allergénicité. La caractérisation de l’immunoréactivité liée à l’Ara h 6 va être poursuivie afin d’identifier, cette fois, les structures responsables des réactions croisées entre albumines 2S de l’arachide et d’évaluer leur importance dans l’allergénicité de l’arachide.
En parallèle de ces analyses basées sur des méthodes immunoenzymatiques, une nouvelle approche permettant d’estimer l’allergénicité des protéines du lait et de l’arachide, a été appliquée au laboratoire. Elle fait appel à un modèle de dégranulation développé à partir d’une lignée mastocytaire de rat exprimant le récepteur humain de forte affinité pour les IgE et de sérums de patients allergiques. Ce type de modèle permet de comparer la capacité de dégranulation, le pouvoir « réactogène », des différentes protéines d’une même source allergénique. Les premiers résultats obtenus corroborent les données précédemment évoquées et soulignent, pour l’arachide, l’importance allergénique des albumines 2S.
Par ailleurs, la connaissance des allergènes en cause et de leurs épitopes a permis de définir des cibles allergéniques et de proposer des outils pour leur détection dans des matrices biologiques complexes. Différentes méthodes immunoenzymatiques ont été développées et ont été notamment appliquées lors de programmes européens (CPPs HTM prot, Europreval). Elles ont conduit à la détection de protéines et de peptides du lait et de l’arachide.